Après le décès brutal de Pierre Chocquet à son domicile d'Agen le 27 avril 2014, les échanges avec les internautes passionnés par ses amies les abeilles, ont malheureusement pris fin sur ce site.
Après le décès brutal de Pierre Chocquet à son domicile d'Agen le 27 avril 2014, les échanges avec les internautes passionnés par ses amies les abeilles, ont malheureusement pris fin sur ce site.
Lorsque je réfléchis, je trouve que j’ai eu beaucoup de chance.
D’abord ; je m’appelle 100.111. Avouez que c’est
une chance ! Mon nom est facile à retenir. Remarquez, mon vrai nom
est Maya 100.111. Mais comme maya est le nom de toute la famille, on m’appelle
simplement 100.111.
Notre système est simple. Mère s’appelle
1, et tout les six mois on repart à 2 pour donner un nom
en fonction de l’ordre de naissance. Lorsque l’on est à
l’état d’œuf et à l’état larvaire,
on n’a pas de nom.
Ce qui compte, c’est le moment ou l’on sort de
l’alvéole.
Normalement, on est seule à porter un numéro. Mais il peut
arriver, à la sortie de l’hiver, que des abeilles vivent plus
de 6 mois. Alors il peut y avoir deux abeilles qui portent les mêmes
premiers numéros. Moi, avec mon numéro assez élevé,
je sais que cela n’arrivera pas.
Oui je suis heureuse d’être ce que je suis.
D’accord, étant née en mai, je vivrai
moins longtemps que la reine ou
que ces gros lourdeaux de faux
bourdons.
Mère va vivre peut être 1200 jours ou encore plus. Mais vous
vous rendez compte d’une vie !!!.
D’abord, elle va du début à la fin, toujours manger
la même chose. La gelée
royale. Et ce n’est même pas très bon.
Un jour, j’ai voulu en goûter dans une cellule ou une larve
venait d’éclore. Pouah ! Et puis durant
toute sa vie, elle ne va faire qu’une chose. Elle va pondre, pondre,
pondre... jours et nuits. Elle ne va faire que ça..
Non, vraiment, je ne regrette pas de n’être pas Mère.
Et les mâles
? Ces gros goinfres, incapables de se nourrir tout seuls. On les tolère
parce que quelques un servent à la reproduction de l’espèce,
m’a-t-on dit. Mais lorsqu’ils ont mis leur semence dans une
mère, ils meurent aussitôt.
Pas drôle. Et tous les autres, on les fiche en dehors de la ruche
et on s’arrête de les nourrir. Ils meurent de froid, de faim
et ils n’ont même pas la consolation de se dire qu’ils
ont servi à quelque chose.
Non. Je n’aurais pas aimé être un mâle !!!!
Moi j’ai une vie agréable.
Mes souvenirs remontent au moment ou je n’étais encore qu’une
larve. Ce devait être à la fin de ce stade, trois ou quatre
jours à peu prés avant ma naissance.
Je me souviens très bien avoir vu pousser la fin de mes ailes et
de mes pattes. C’était amusant. Je trouvais que je changeais
très vite. Et pourtant, je ne faisais aucun effort.
En revanche, j’ai un très mauvais souvenir de ma naissance.
Il a fallu que j’en fasse des efforts pour sortir de ma cellule. J’ai
du d’abord percer l’opercule qui m’enfermait ; puis, patiemment,
il a fallu que j’agrandisse le trou.
Lorsque le trou a été assez grand, j’ai dû faire
une sacrée gymnastique pour sortir complètement de l’alvéole.
J’avais froid. Mes ailes restaient collées sur mon corps.
Vous
croyez que les frangines seraient venues me donner un coup de main ? Rien.
Pas même un regard en passant à cote de moi ! Il a
fallu que je me débrouille toute seule.
Lorsque tout a été en état de marche, les ailes libres,
bien sèche sur tout le corps, j’étais complètement
crevée. Je suis restée 2 jours à ne rien faire, sinon
à réparer mes forces.
Quand j’ai eu deux jours, les frangines sont venues me dire de commencer
à travailler.
C’est là, qu’elles ont commencé à s’occuper
de moi. J’étais devenue intéressante, je pouvais servir.
C’est à ce moment là que l’on m’a dit mon
nom. C’est vrai, quand même !! 100.111, j’ai eu de la
veine. Vous vous rendez compte? Si j’avais été un peu
moins rapide, pour sortir de l’alvéole, je pouvais être
appelée 100.894 par exemple. Pas facile à retenir.
On m’a demandé d’abord de faire des corvées
de casernement. J’ai nettoyé les cellules qui venaient
d’être libérées par les nouvelles naissances.
Remarquez, je ne sais pas pourquoi on appelle ça des corvées.
Moi, je trouvais
ça intéressant. J’arrivais devant une cellule, pleine
de déchets de cire et de l’enveloppe d’une larve, et
lorsque j’avais fini mon travail, la cellule était propre,
brillante….Oui, c’était agréable.
Après j’ai été affectée
aux cuisines. Je préparais la bouillie larvaire. Du miel,
du pollen de l’eau, il ne fallait pas se
tromper dans le dosage. Mais on prenait rapidement le coup, et je trouvais
cette activité amusante.
Et puis, j’ai senti quelque chose qui grossissait dans ma tête.
On m’a dit que j’était grande maintenant ( quoique ma
taille soit toujours la même depuis ma naissance et qu’aujourd’hui
encore, elle est toujours la même) et que j’allais produire
de la gelée royale.
Je me souviens que je trouvais ça formidable. J’allais moi,
produire quelque chose, et cette chose était indispensable pour que
vive Mère, et donc toute la famille.
J’ai aussi un bon souvenir de cette période. Ce n’était
pas très fatigant, la gelée royale venait toute seule. J’ai
donnais directement à la reine et d’autres fois, j’allais
en mettre dans les cellules ou une larve venait
d’éclore.
Et puis un jour, je me suis aperçu de deux choses à
la fois.
Ma tête devenait moins lourde, et je produisais moins de gelée
royale. En revanche, entre les anneaux de mon abdomen, de fines feuilles
de cire apparaissaient.
Je devenais cirière. Cette période aussi a été
merveilleuse. Vous vous rendez compte. Je devenais architecte. Je construisais
des cellules.
Il fallait qu’elles soient toutes identiques. Les cotés ( il
y en a six) sont faciles à construire, en revanche il fallait sacrément
s’appliquer pour faire les fonds, constitués de trois triangles
qui devaient faire des angles très précis avec la verticale.
Heureusement, nous sommes très douées pour ce travail, et
je me
demande même comment nous y arrivons. Ca tient du miracle !!
Depuis ma naissance, jusqu’à aujourd’hui, je n’étais
pas sortie de la ruche.
Je me déplaçais dans la maison avec mes pattes, je ne m’étais
jamais servi de mes ailes.
Indépendamment des activités dont je vous ai
parlé, j’ai été appelée à faire
bien d’autres choses ? Transformer le nectar en miel en régurgitant
plusieurs fois le nectar et en ventilant pour chasser l’eau en trop.
Oui, j’en ai fait des choses…..
Ce matin, il fait un temps magnifique. Quand il a fait un
peu chaud, je suis sortie pour faire mon vol de repérage. Il fallait
que je situe bien l’emplacement de la maison, car j’étais
appelée à partir à plusieurs kilomètres, et
si au retour, je n’avais pas retrouvé mon logis, que serais
je devenue ?
J’étais fichue. Impossible de vivre toute seule.
Alors j’ai bien pris mes repères, et je suis partie faire ma
première quête de nectar. Et si j’ai bien aimé
tout ce que j’ai fait jusque là, c’est ça que
je préfère. Le butinage.
On vole librement dans les airs, à la hauteur que l’on veut.
C’est énivrant, Avant de partir de la maison, des copines spécialisées
( nous les appelons les éclaireuses, nous avaient dit dans quelle
direction et à quelle distance nous trouverions des champs de fleurs.
Elles sont fortes ces copines, car juste à l’endroit indiqué,
j’ai trouvé plein de fleurs. Il suffisait de se poser sur une
fleur, de plonger la tête vers le fond, et avec notre langue en forme
de trompe, on aspirait un liquide sucré. On le stockait, mais on
ne pouvait pas s’empêcher d'en avaler un peu pour nous . Un
délice..
J’ai fini mon premier voyage. J’ai déposé
mon nectar dans une alvéole, de jeunes sœurs vont l’absorber
et le régurgiter plusieurs fois pour en faire du miel, et moi, je
suis vite repartie pour mon deuxième voyage.
J’ai vraiment une vie merveilleuse. Je vais faire ça encore
très longtemps : 20 jours, peut être même trente jours.